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                           PERISSABLES

 

Tout est en excès dans ces images.

Tout est trop.

Trop artificiel, trop posé, trop attendu.

Les poses, les coiffures, les sourires, le vêtement.

Une représentation, un exercice de style photographique.

La photo de classe, fin d’année, toutes soignées et apprêtées.

Fond identique, éclairage fixe, robe sobre et élégante, uniforme.

Et de même pour les aliments.

Trop frais, trop colorés, trop clinquants, criards même.

Pleine santé, pleine fraîcheur.

A ne se poser aucune question.

De belles jeunes femmes, saines, fraîches, pleines de vie.

De belles denrées, saines, fraîches, pleines de vie.

 

Cette superposition littérale espère juste éviter le piège d’une cynique comparaison du type consommables ou pire, appétissantes.

 

Non, il n’y a là qu’un immense attendrissement, devant ces visages extraits d’un trombinoscope d’une université américaine, la classe thêta upsilon de l’année 58, trouvé dans un beau marché de brocante, spécialisé en bizarreries US.

Un nouveau trésor de visages, étranges, surannés, apprêtés, et malgré tout étonnamment actuels. Toujours si vivants.

 

 

Exposé au milieu d’autres marchandises, jouxtant dans un soleil d’été les étals des maraîchers, riches de fruits et légumes éclatants, et autres alléchantes propositions.

 

J’ai eu envie, encore, de prélever, d’isoler ces regards, ces sourires, ces peaux, je me suis abandonné à rêver leurs histoires, leur destins, leurs carrières ou leurs amours, laquelle était encore vivante et laquelle avait disparu, et dans quelles conditions, qui avait aimé, qui survivait et dans quelles mémoires.

Elles étaient toutes là, encore toutes gorgées de promesses et d’espoir.

Manger, boire, rire, rêver, aimer.

 

Alors spontanément et très tendrement, j’ai recouvert leurs visages de ces denrées.

Périssables

 

 

 

                                            Michaël SERFATY – Janvier 2021

Sous-série de Fanées

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